Ce qui frappe dans les affaires des députés français depuis Cahuzac (décembre 2012 à ce jour), c’est que le « Nul n’est censé ignorer la loi » se retourne contre les personnes qui font la loi. La malhonnêteté de certains, l’ignorance incompétente des autres suffiront-elles à abolir ce diktat de l’état omnipotent, impossible à tenir par le particulier ?
L’image de l’état omnipotent et effrayant
correspond à l’imaginaire collectif du parent nourricier et cependant terrifiant, terrifiant parce que nourricier. Quand cet état prend des allures humaines, car il faut bien que des hommes et des femmes incarnent l’état, alors il apparaît encore plus redoutable.
En effet, il ne s’agit pas uniquement de relayer les lois, cela est plus complexe : les lois sont plus complexes. Et, respecter les lois, voire en tirer partie, exigent une véritable ingénierie : seuls les experts en fiscalité peuvent en jouer, en user, conseiller les grands de ce monde, et se tromper car les lois sont versatiles, changent d’un gouvernement à l’autre, parfois même d’une réunion gouvernementale à une autre.
La situation peut devenir retord lorsque les personnes qui incarnent la Loi sont convaincues du bien fondé des lois, de leur suffisance, de leur cohérence. C’est comme si mercredi prochain nous invitions tous ces gens à un même « dîner », sur le modèle du célèbre film de Francis Veber (1998) : ils y croient. Et cela est dangereux.
C’est à ce point précis du croisement entre l’état et son incarnation, au moment où se mêlent une société (son état, ses lois, son inflation législative, marque de ses incohérences) et un individu (sa personne, ses convictions, sa suffisance, marque de ses ambiguïtés) que l’état devient atterrant.
Et pourtant le paradoxe est là, merveilleusement expliqué sur site de la Direction de l’information légale et administrative de notre République :
http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/citoyen/citoyennete/definition/devoirs-definition/que-signifie-nul-n-est-cense-ignorer-loi.html
« Nul n’est censé ignorer la loi… Une fiction juridique… dont la réalisation est impossible,… mais néanmoins nécessaire au fonctionnement de l’ordre juridique ». On peut se demander si « l’ordre juridique » ne se prend pas pour le centre de l’état, en application directe du fameux « Principe de Peter » qui est que l’organisation s’autogénère et ne se prend plus pour la fonction au service du projet mais pour le projet lui-même (Principe de Peter, Laurence J Peter et Raymond Hull, 1970).
Ce que dit le paradoxe est que si l’adage n’existait pas, alors, tout semblerait permis. Oui, mais si l’adage est appliqué à la lettre (c’est bien ce qui demandé aux agents de l’état), alors l’individu n’existe plus dans sa singularité mais comme un élément indistingable de la masse des citoyens. Si nul n’est censé ignorer la loi, c’est que la loi ignore chaque individu.
En entreprise, comme dans toute organisation, la même mécanique est là.
Procédures, règlements intérieurs, fonctionnements explicites et implicites dictent les comportements. Mais surtout, crée un état dans l’état, qui a tout pouvoir de se retourner contre chacun, sécurisant l’ensemble et limitant la liberté de créer des individus.
Qu’en est-il vraiment dans la réalité ? Norbert Alter a depuis longtemps mis en évidence l’importance des électrons libres, créateurs de nouveaux processus. Pour apporter de nouvelles idées il faut savoir s’écarter du droit chemin de la règle écrite par d’autres. Ne voyez ici aucun lien et aucune gloire à l’égard des députés, en référence au début de ce texte ! Tout du contraire, car ici, c’est l’intérêt général (« l’idée d’un autre bien ») qui prime sur l’intérêt personnel pour ces « déviants positifs » de l’entreprise (L’innovation ordinaire, Norbert Alter, PUF 2000).
C’est alors qu’il est important de distinguer un principe d’une règle.
Un principe relaie les valeurs, c’est un élan, une intention doublée d’une éthique. Une règle est un comportement observable. S’il est essentiel de concevoir des règles à l’échelle d’un projet, d’un groupe de travail, d’une session de formation, il est aussi salutaire que : 1) les règles soient ré-écrites à chaque nouveau projet, à chaque nouvelle session 2) les règles soient construites par les participants eux-mêmes.
Les règles s’écrivent sur la base de principes de l’organisation, et sont limitées dans le temps à l’échelle du projet/de la session, contrairement aux principes qui s’inscrivent dans un temps plus long à l’échelle de l’organisation, de la société. Les règles sont mobiles, les principes, non. Les règles sont mobiles dans le cadre des principes. La fluctuation des règles n’est pas un manque de stabilité, mais l’assurance du respect des principes.
Que seraient les principes appliqués à l’état ?
Virginie Mandaroux – 26 octobre 2014